Le combat pour le climat et le Vivant a notamment un mérite: il nous permet de nous rencontrer et de nous unir, car le sujet nous concerne tous, universellement, quel que soit l'endroit qu'on habite sur la planète. C'est ainsi que grâce à Elinka, membre de notre collectif des Grévistes de la faim pour un avenir possible et à son implication totale dans cette noble et joyeuse lutte pour un avenir souhaitable et la préservation du vivant, nous avons pu faire la connaissance de Fousseny Traore, jeune activiste écologiste malien surmotivé pour faire évoluer la situation africaine, en particulier dans la zone sahélienne, qu'il connaît particulièrement bien. Ce secteur géographique est l'un des plus touchés par le réchauffement climatique. Selon les chiffres qu'il nous a annoncés 3.5 millions de personnes seraient menacées de famine au Mali. D'autres chiffres parlent de 5.5 millions, comme dans cet article du journal Le Monde. Si la situation semble de prime abord, pour l'observateur extérieur, imputable aux seules violences interethniques et au djihad, elle est bel et bien due en bonne partie au réchauffement climatique, qui accentue toutes les problématiques et constitue un réservoir sans fin aux conflits autour de l'eau et des pâturages.
Comme nous le dit Fousseny, "dans ce pays où l'économie est principalement basée sur la pêche, les cultures et l'élevage, lorsqu'un chef de famille ne parvient plus à nourrir sa famille il est aisément séduit par les djihadistes qui le payent (pour les accompagner dans leurs exactions, N.d.r.) ou préfère fuir vers un pays plus accueillant". Hélas, les sécheresses se succèdent dans cette région particulièrement aride et même si la déprise agricole dûe aux conflits peut donner l'impression d'un reverdissement dans certaines zones, il est très insuffisant et peu durable. Ajoutons à cela les problèmes d'insalubrité -la rentrée scolaire est régulièrement différée parce que l'odeur des ordures accumulées est parfois intenable pour les élèves à la fin de la saison des pluies, la malaria et le paludisme font des ravages- et on commence à comprendre une partie des difficultés structurelles du pays, envenimées par une corruption sévère de la sphère politique. Quand Fousseny parle de climat dans son pays, on a tendance à lui répondre qu'il devrait plutôt se préoccuper de la santé, de l'éducation ou de la pacification. C'est là qu'il doit déployer tout son talent d'orateur et de médiateur pour démontrer ce que chaque militant écologiste se doit de démontrer partout sur la planète: tout est lié, et la maltraitance du vivant comme l'impréparation au réchauffement climatique alimentent ou génèrent bon nombre de ces problèmes.
Fousseny Traore milite auprès de diverses associations ou collectifs écologistes, dont Ensemble pour le Climat Bamako (photo), Fridays for Future (le mouvement lancé par Greta Thunberg, qui l'a beaucoup inspiré), Citoyens pour le Climat. Il a oeuvré à la constitution d'un collectif des associations environnementales, avec lequel il mène diverses opérations de nettoyage ou de sensibilisation.
Selon lui, il est déterminant de permettre à la population de prendre conscience de la notion d'Ecologie, qui est très loin d'être une priorité des gouvernements africains. Lorsqu'on l'interroge sur le magnifique projet de Grande Muraille Verte amorcé depuis quelques années pour stopper la désertification au Sud du Sahara d'Est en Ouest, il nous ramène rapidement les pieds sur terre: "ce n'est pas un projet réaliste au Mali. Ces plantations d'arbres sont prévues en zone désertique, peu sécurisée, sans qu'aucune irrigation soit possible, à l'écart des zones habitées. Si personne n'est là pour prendre soin des arbres dans un désert où il peut faire 55°C, alors ils ne pourront pas pousser. Cette muraille a pu commencer à voir le jour au Sénégal parce que les secteurs plantés sont habités, et que les plantations peuvent donc être surveillées." C'est sans appel, on ne saurait lui donner tort. De même, il nous explique que lorsque des plantations ont lieu à grand renfort de communication gouvernementale, souvent avec des fonds venus de l'étranger, la vie de nombre d'arbres fraichement plantés ne dure que quelques jours, car la population locale n'y prend pas garde, les piétine, les arrache sans savoir ce dont il s'agissait, ce à quoi cela devait servir. Au Mali comme ailleurs, l'éducation à l'environnement est donc une urgence.
Parmi les actions menées par Fousseny, des ramassages de détritus sur les marchés, le nettoyage des hôpitaux durant des Journées de Salubrité et, constamment, la sensibilisation de ses concitoyens à la cause environnementale et climatique par la pédagogie. Il est aussi présent sur la scène internationale, comme ici dans un article du Süddeutsche Zeitung.
Au regard de l'ampleur de la tâche à accomplir dans son pays comme en Afrique, où aucun pays ne s'est déclaré en état d'urgence climatique malgré les signaux alarmants du réchauffement, on pourrait se sentir démotivé. Fousseny, lui, ne se pose pas la question, et aborde la bataille à mener avec un certain enthousiasme, une détermination sans faille, et une approche aussi réaliste que "naturaliste" de la situation: "dans ma famille, je suis celui qui fait attention à ne pas utiliser de plastique, en expliquant pourquoi. Cela n'empêche pas que les vingt autres personnes continuent d'en utiliser, tout en respectant mon point de vue!"
Il y a néanmoins des signaux rassurants. Premièrement, même si les multinationales (notamment les géants français de l'énergie, mais aussi l'industrie minière) sont en bonne partie responsables de l'état désastreux du pays en matière d'environnement, il n'y a pas de rejet des occidentaux en général...enfin presque! Ainsi, même si nos représentants politiques et industriels sont fortement dépréciés, les citoyens occidentaux sont, eux, accueillis comme n'importe qui: "nous sommes citoyens de la Planète Terre, et nous avons tous le même problème. Si vous avez un problème, il devient le mien, que vous soyiez occidentaux ou pas." Certains autres messages de Fousseny portent aussi leurs fruits, tels ceux où il aborde le coût de la santé en rapport avec l'insalubrité: "j'explique aux gens qu'il vaut mieux qu'ils dépensent un peu d'argent pour nettoyer leur cour et ne pas laisser trainer les déchets, qu'en médicaments pharmaceutiques. Quand on a moins de 500 francs pour vivre chaque jour, mieux vaut ne pas avoir à acheter un médicament à 5000 francs parce qu'on vit dans la saleté et que ça nous a rendu malade."
Un autre visuel de l'association "Ensemble pour le Climat Bamako", pour alerter la population et interpeller les gouvernements africains sur la gravité et l'urgence de la situation.
Lorsque nous lui avons demandé comment l'aider avec notre collectif, nous lui avons maladroitement proposé qu'il participe avec nous à une grève de la faim. Il nous a alors répondu, non sans dérision: "en Afrique, nous sommes nombreux à faire la grève de la faim tous les jours, ou à risquer de ne pas pouvoir nous nourrir le lendemain!" Oui, c'est sûr, il y a comme un décalage entre notre réalité et la sienne, entre notre confort menacé qui pourrit la planète et le quotidien de millions d'africains qui ne savent pas si demain leur mil produira quelques grains, si le bétail ne mourra pas de faim, et eux avec. Pourtant, loin de nous acculer dans notre méprise, Fousseny poursuit: "il y a plein de façons de nous aider tant nous manquons de tout. Si vous, chez vous, vous souffrez du réchauffement climatique et de la crise environnementale et que vous craignez pour votre avenir, c'est que vous avez conscience du problème. Vous pouvez donc nous aider à faire comprendre aux africains à quel point la préservation de leur environnement est importante, et transmettre votre expérience dans ce domaine."
Oui, c'est vrai, on a au moins ça pour nous: des années à avoir appris à limiter la casse environnementale avec des gouvernements qui font semblant de faire ce qu'il faut mais font en réalité tout l'inverse. Au moins, nous savons trier des déchets, pouvons expliquer le fonctionnement des écosystèmes, montrer comment le confort de vie des 1% les plus riches de la planète dont nous faisons partie est certes désirable, mais nuit aux populations les plus pauvres avec une force effroyable...pour finalement nous revenir dans le nez sous forme de crise climatique, d'érosion mortelle de la biodiversité, de moissons moins bonnes, de flux migratoires aussi incontrôlables que justifiés et dramatiques pour ceux qui y participent.
Nous ferons de notre mieux, c'est promis, pour participer à cette tâche en aidant Fousseny à transmettre son message, à éduquer, à informer et sensibiliser la population qui n'a qu'insuffisamment accès à ce qui lui est nécessaire et reçoit trop de tout ce dont elle n'a pas besoin, parfois par bateaux complets de nos ordures les plus polluantes. Déjà, nous étions heureux d'entendre que certains chefs religieux, écoutés et respectés autant que les chefs coutumiers -voire plus encore- , ont intégré le message écologique dans leur prêche, en évoquant "la Nature comme plus belle création du Créateur, et qu'il est donc indispensable de la respecter, sinon on ne le respecte pas" et qu'il y a désormais des poubelles dans les mosquée. Nous avons évoqué ensemble quelques autres pistes auxquelles nous pourrions contribuer, par exemple en organisant très prochainement un facebook live autour de son action et en mentionnant la problématique africaine dans notre communication. C'est donc en partie fait, nous reste à continuer! En tout cas, s'il doit y avoir leçon, elle a bien été donnée par le courage, l'engagement, la maturité intellectuelle et la gentillesse de ce jeune homme, dont on constate les montagnes qu'il commence à ébranler avec son large sourire et son énergie contagieuse.
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